Cinquante-deux. C’est le nombre de familles aborigènes chrétiennes que les nationalistes hindous revendiquent avoir « reconverties » dans le district de Khunti, dans l’Etat du Jharkhand, ces dernières semaines. Et ils promettent de poursuivre cette action, dans un Etat où la communauté chrétienne est relativement importante (4,3 % de la population au Jharkhand, contre 2,3 % au niveau national).
Accusant les missionnaires chrétiens d’avoir détourné les populations aborigènes (tribals) de leurs « racines », Laxman Singh Munda, leader du Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS – Corps national des volontaires) et vice-président du Bharatya Janata Party (BJP, représentation politique du RSS) dans cet Etat du nord de l’Inde, précise qu’il ne s’agit pas de « conversions » mais de « retours à la maison » (Ghar Wapsi). Au cours de « cérémonies de purification » (Shuddhikaran), le prêtre hindou étale de la pâte de bois de santal sur le front des chrétiens puis leur lavent les pieds ; ces gestes matérialisent leur « retour » dans la communauté hindoue.
Le Ghar Wapsi n’est pas un phénomène nouveau en Inde. John Dayal, ancien président de l’organisation All India Catholic Union, explique que l’hindutva, l’idéologie de la droite nationaliste indienne qui voudrait faire de l’Inde une nation exclusivement hindoue, tient que « chaque Indien est en réalité un hindou, et les chrétiens comme les musulmans ne sont des non-hindous que par ‘égarement’ ou après avoir été soudoyés par les missionnaires ».
Contacté par Ucanews, Mgr Binay Kandulna, évêque catholique de Khuti, considère que « c’est un sujet de préoccupations », mais, ajoute-t-il, « nous ne sommes pas menacés car nous ne croyons pas à la conversion forcée des fidèles [qui] sont très enracinés dans leur foi ». Et, comparé à de précédentes campagnes de Ghar Wapsi, celle-ci est d’une ampleur limitée (pour mémoire, près de 4 000 chrétiens et 1 000 musulmans s’étaient « reconvertis » le 25 décembre 2014).
Néanmoins, cette campagne suscite des inquiétudes. Certains se préoccupent des risques de contagion, notamment dans les autres Etats dirigés par le BJP. En effet, dans ces Etats, la mise en place de mesures visant les chrétiens est clairement revendiquée par le RSS. Laxman Singh Munda a ainsi indiqué qu’il entendait supprimer toute présence chrétienne dans la région : « Nous voulons une zone sans chrétiens » (‘a christianity-free block’). Dans le seul Etat du Jharkhand, dirigé par le BJP depuis décembre 2014, outre les « cérémonies de purification », des « brigades anti-Roméo » ont fait leur apparition et le gouvernement local a ordonné la fermeture des abattoirs « illégaux » (alors même qu’il n’existe pas d’enregistrement légal des abattoirs dans cet Etat, selon The Hindustan Times). Ces dispositifs sont directement inspirés de la politique menée par le gouvernement BJP dans l’Uttar Pradesh, un Etat récemment conquis par le parti nationaliste hindou. Ainsi, la pratique du Ghar Wapsi pourrait s’étendre à d’autres Etats, craignent certains chrétiens en Inde.
L’impunité dont bénéficient les nationalistes hindous constitue une préoccupation supplémentaire. Des groupes de défense des droits des chrétiens, et notamment la Fraternité évangélique de l’Inde, ont souvent accusé la police et l’administration de fermer les yeux sur les incidents et les violences visant les chrétiens.
L’inquiétude est d’autant plus grande que les incidents ne se limitent pas aux seuls Etats gouvernés par le BJP. Au Tamil Nadu, un Etat du sud de l’Inde, loin de la « hindi belt » formée par les Etats de la moitié nord du pays, c’est un parti dravidien local qui est au pouvoir, le All India Anna Dravida Munnetra Kazhagam (AIADMK) ; à Sogandi pourtant, la célébration du Chemin de Croix du Vendredi Saint dans une communauté de catholiques dalits a été perturbée par les forces de police. Pour l’évêque local, Mgr Anthonisamy Neethinathan, « il est clair que le fondamentalisme antichrétien inspiré de l’hindutva et le fanatisme anti-dalit […] ont influencé la police ».
Dans une déclaration datée du 19 avril, le secrétaire général de la Conférence des évêques catholiques d’Inde, Mgr Theodore Mascarenhas, a fait part des « angoisses et souffrances » de l’Eglise catholique en Inde à ce sujet. « Non seulement la petite communauté de chrétiens dalits a été empêchée de célébrer ce jour saint, mais la police, sur instruction des autorités locales, a recouru à la force et à la violence […]. Nous sommes fiers de notre pays, de ses traditions séculaires [mais] depuis quelque temps, des groupes fondamentalistes travaillent à la rupture de la paix sociale […]. Nous demandons au Premier ministre, au ministre de l’Intérieur et aux dirigeants de tous les partis politiques de veiller à ce que chacun dans ce pays puisse continuer à se sentir en sécurité et à jouir du droit fondamental de professer sa foi dans la liberté et sans peur. »
(eda/pm)
Cet article a été publié le 21 avril 2017 par l’agence de presse Églises d’Asie.
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