En Inde, les personnes appartenant à des ethnies minoritaires ou à des basses castes énumérées dans une liste officielles jouissent de privilèges divers destinés à favoriser leur développement, tels que l’éducation gratuite, un quota d’emplois réservés dans la fonction publique, des droits spéciaux en matière de terres, un traitement spécial devant les tribunaux, etc. Jusqu’à présent, ces privilèges ont été refusés aux chrétiens et aux musulmans de basses castes au prétexte que le christianisme et l’islam ne reconnaissent pas le système de castes, qui détermine le statut social des personnes dans la société indienne.
Le 28 janvier dernier, la Cour suprême de l’Inde, à New Delhi, a rendu en appel une sentence impliquant qu’un membre d’une ethnie spécifiée par la loi comme bénéficiaire des dits privilèges n’en perdait pas le bénéfice en changeant de religion. Selon la Cour, le changement de croyance n’entraînait pas un changement d’identité ethnique et culturelle dans la mesure où la personne concernée conservait ses coutumes, ses rituels et un certain nombre de traits caractéristiques. Cette sentence de la Cour suprême prononcée en appel revenait sur le jugement d’un tribunal du Kerala qui, dans une affaire de viol, avait refusé de faire bénéficier la victime des dispositions d’une loi chargée de protéger les minorités ethniques sous le motif que les ancêtres de la jeune fille avaient changé de religion.
Les différentes hiérarchies des Eglises chrétiennes en Inde se sont aussitôt félicitées de cette décision de la Cour suprême. Le cardinal Telesphore Toppo, nouveau président de la Conférence épiscopale catholique, lui-même appartenant à l’ethnie Oraon, a déclaré que la sentence de la plus haute instance juridique indienne constituait une réponse aux allégations des groupes prétendant que les membres des ethnies convertis au christianisme ou à d’autres religions se coupaient ainsi l’accès aux privilèges prévus par la loi. «Quelle que soit la religion qu’ils adoptent , a-t-il dit, ils sont assurés de garder leur statut ethnique pour toujours.» Il a ajouté que cette décision qui ferait jurisprudence contribuerait à renforcer l’unité entre les chrétiens et les autres au sein des diverses minorités ethniques. Voilà, en effet, des dizaines d’années que la division y est entretenue par divers groupes dont les motivations sont avant tout politiques. Mgr Z. James Terom, le plus haut placé dans la hiérarchie de l’Eglise (protestante) de l’Inde du Nord, appartenant à l’ethnie minoritaire des Munda, qualifie d’«excellente» la récente décision de la Cour suprême. Elle illustre le caractère séculier du système judiciaire indien.
Cependant, dans les milieux juridiques favorables aux développements des populations minoritaires, cette décision n’a pas toujours été accueillie avec la même faveur. Ainsi M. P. Raju, avocat à la Cour suprême, met en garde contre la décision de la Cour qui, a longue échéance, pourrait s’avérer une menace contre les chrétiens membres des minorités ethniques et créer des controverses dans des régions où elles n’existaient pas. En effet, les lois indiennes distinguent les différents éléments de la population en fonction des ethnies et des castes auxquelles ils appartiennent. Légalement, cette appartenance disparaît avec la conversion. Autoriser les membres des ethnies à garder leur statut ethnique après leur adhésion au christianisme ou à l’islam relève, selon l’avocat, d’une vision «ethnique» de la population. Il est dangereux, ajoute-t-il, de donner le droit aux communautés ethniques de décider, elles-mêmes, de l’identité de leurs membres, autorisation qui pourrait donner un libre champ aux tentatives de manipulation des fondamentalistes hindous.
Le point de vue de Mgr Terom, chef de l’Eglise de l’Inde du Nord, est passablement différent. Il est d’avis que les chrétiens des minorités ethniques conservent les coutumes et les lois de leur peuple même en adoptant le nouveau culte. A ceux qui affirment que les nouveaux convertis perdent leur identité tribale, il affirme que ces derniers continuent de vivre dans un univers différent, avec des caractéristiques qui marquent tous les domaines de leur existence, un univers qui est repris intégralement dans le culte chrétien, qu’il s’agisse d’habillement, de danses ou encore de vision du monde. «Rien ne différencie nos vies de celles des autres, conclut le prélat, si ce n’est que notre spiritualité est chrétienne.»
Paradoxalement et pour des raisons différentes, la décision de la Cour suprême a été bien accueillie dans les milieux du fondamentalisme hindou. Ainsi Ram Madhav, porte-parole du Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS, Corps national des volontaires), estime qu’il est normal que les convertis gardent leur ancien statut car, dit-il, un changement de religion n’est pas synonyme de disparition du statut originel. Deux associations parmi celles qui se regroupent au sein du RSS sont particulièrement actives au sein des ethnies minoritaires, le Vanvasi Kalyan Ashram (Ashram pour le bien-être des habitants des forêts) et le Hindu Jagran Mach (Forum pour la mobilisation de l’hindouisme). Elles sont notamment connues pour leur programme de reconversion des chrétiens à l’hindouisme.
Cet article est paru dans le N° 390 (1er février 2004) du bimensuel Eglises d’Asie, publié par les Missions Etrangères de Paris.
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